L’éclatement de la bulle spéculative japonaise en 1989 et ses conséquences sur l’économie nippone

Rappelez-vous le miracle japonais d’après-guerre: sorti exsangue de 39-45, le pays du soleil levant allait faire un come-back spectaculaire grâce à l’aide américaine, affichant une croissance annuelle à plus de 2 chiffres dans les années 1965-1970 et devenant la 2ème puissance économique mondiale à partir de 1968, juste derrière l’Oncle Sam.

Mais voilà qu’une bulle spéculative bicéphale (boursière et immobilière) commence à gonfler inexorablement à partir de 1986 pour atteindre des sommets vertigineux à la fin de 1989 (l’indice Nikkei atteint son plus haut à 38 957 points le 29 décembre). L’explosion est alors inévitable, brutale et va créer une profonde récession qui portera le nom de ‘décennie perdue : 1990-2000’ et dont les conséquences sont toujours palpables en 2015 …soit 25 ans après le krach !

L’indice Nikkei au plus haut de la Bulle spéculative japonaise

Le Nikkei au + haut de la bulle spéculative du Japon

Essayons de comprendre comment une telle bulle spéculative a pu se produire, quels ont été les remèdes miracles appliqués et pourquoi le Japon n’a toujours pas retrouvé son aura d’avant-crise ?

Les périodes de reconstruction d’après-guerre sont génératrices de prospérités économiques qui peuvent déboucher, ici ou là et si l’on ni prend garde, sur des surchauffes incontrôlables, voire des krachs spectaculaires. C’est ce qui s’est passé en Amérique en 1929, le krach de Wall Street venant doucher la frénésie d’investissements boursiers de millions d’américains, aveuglés par la croissance spectaculaire induite par les besoins de reconstruction de l’Europe, meurtrie par la Grande Guerre.

A la fin de l’autre guerre, celle de 39-45, c’est un peu la même chose qui se produit pour le Japon. A la sortie du conflit, celui-ci est à terre et ne peut même pas subvenir à ses besoins alimentaires : il sollicite l’aide de l’occupant Mac Arthur qui fait livrer sur l’archipel farine, sucre et autres boites de corned-beef.

Mais le peuple japonais est un peuple fier, organisé et travailleur: aidé par un modèle social très favorable (emploi à vie par exemple), il se met rapidement à la tâche et la croissance est au rendez-vous : à 2 chiffres dans les années 60, aux alentours de 5% dans les années 70 et 4% dans les années 1980.

C’est l’époque du boom dans le domaine de l’automobile (avec des groupes comme Toyota, Nissan, Honda, …) dans celui de l’électronique (avec Fujitsu, Mitsubishi, Canon, Panasonic, Sony, Akai, Sharp, Nintendo,..) ou encore dans la construction navale et les services. Dans tous les cercles sociétaux on ne parle alors que du « miracle économique japonais ». Si bien que les pays industrialisés (et en premier lieux les Etats-Unis) commencent à s’inquiéter des prises de participation ou des rachats par les japonais de grands groupes ou entreprises internationales.

Pour contrer les barrières protectionnistes américaines ou européennes qui commencent à se mettre en place, les entreprises nippones délocalisent alors leurs productions dans les pays consommateurs de leur produits : en Asie d’abord puis en Amérique du Nord.

La santé des grands groupes japonais est alors si florissante qu’elle attire les investisseurs et les spéculateurs de tous bords. A partir de 1986, l’indice Nikkei commence à s’envoler vers des sommets indécents, tout comme les prix de l’immobilier, particulièrement à Tokyo ou l’espace est compté. Pour permettre aux primo-accédant de devenir propriétaire de leur logement les banques nippones accordent des prêts à risque, préfigurant ce que l’Amérique de l’oncle Sam allait généraliser dans les années 2000 avec ce qui allait devenir la crise des subprimes.

Le gonflement de la bulle s’accélère encore suite aux Accords du Plaza (conclus en 1985 entre les principaux membres du G7), accords qui ont pour but d’intervenir sur le marché des changes pour faire baisser le cours du dollar. Or le japon a accumulé une forte épargne en billets verts et est très dépendant de ses exportations, également libellées en dollars.

Celui-ci se dépréciant fortement , les investisseurs se ruent alors sur les des autres placements disponibles, à savoir actions libellées en yen et biens immobiliers de l’archipel.

Et ce qui devait arriver, arriva : un éclatement de la bulle en 2 temps : krach boursier puis effondrement des prix de l’immobilier (*).

Note (*) : On a tendance, dans nos économies développées, à considérer que l’immobilier est un placement plutôt sûr. Or l’éclatement de la bulle immobilière japonaise a montré qu’un investisseur dans un logement pouvait perdre, sur une décennie, 90% de la valeur de son bien dans le résidentiel et même jusqu’à 99% dans le quartier financier de Tokyo. A mettre en perspective d’ un placement dans l’or physique par exemple !

Le 29 décembre 1989, l’indice Nikkei atteignait son plus haut à 38 957 points avant de dégringoler avec une pente aussi raide qu’à sa montée.

Cette date du 29 décembre 1989 marquera la fin du miracle japonais et l’entrée dans une nouvelle ère bien moins reluisante, appelée ‘la décennie perdue’.

A partir de 1990, le pays du soleil levant entame alors une période de stagnation économique et de chômage. Les politiques d’austérité ne donnent aucun résultat et le pays s’enfonce dans un long cycle de déflation. Comble de malchance, la crise asiatique de 1997 vient aggraver la situation, avec des conséquences dramatiques pour les entreprises nippones les plus faibles.

Pour essayer de relancer la croissance, la Banque du Japon diminue ses taux directeurs à 0% et, faute de résultats, se lance alors en 2001, dans une politique économique toute nouvelle pour l’époque: l’assouplissement quantitatif.

Cette politique de la dernière chance, encore appelé Quantitative Easing (ou QE) en anglais, consiste à faire acheter par la banque centrale des titres sur les marchés (principalement des obligations d’état). Mais cet assouplissement quantitatif n’est pas sans danger, car en faisant tourner la planche à billets, elle contribue à augmenter la dette souveraine des états qui pratiquent cette politique.

Le Japon ayant été le premier pays à se lancer dans cette aventure, il n’est donc pas étonnant de le voir figurer en tête de liste des pays les plus endettés de la planète.

Néanmoins, cette première politique de QE appliquée à un pays qui figurait alors à la 2ème place dans l’économie mondiale a permis à celui-ci de sortir la tête hors de l’eau et de clore la séquence de la décennie perdue.

A partir de 2002, aidé il est vrai par la montée en puissance du grand voisin chinois, le Japon retrouve quelques couleurs. Il faudra cependant attendre l’année 2006 pour le voir sortir de la déflation persistante dans laquelle il s’était enlisé

Hélas, la crise économique mondiale de 2008 (elle-même issue de la crise des subprimes US) va provoquer rechutes sur rechutes, l’indice Nikkei ne parvenant pas, 25 ans après le krach, à retrouver ne serait-ce que la moitié de son plus haut niveau de décembre 1989.

Avec une population vieillissante, un dette souveraine abyssale, des taux zéro depuis belle lurette et des politiques d’assouplissement en tous genre tentées de façon désespérées par la Banque du Japon, vous avez compris que le pays du soleil levant est toujours le grand senior malade de l’économie mondiale.

Quant à tout mettre sur le dos de l’éclatement de la bulle spéculative de 1989, c’est un pas que nous ne franchirons pas ! Les diverses politiques dites ‘de redressement’ ont leur part de responsabilité : elle n’ont fait qu’échouer et même envenimer la crise dans certains cas, mettant le pays dans une situation précaire et au bord de l’effondrement : pour chaque yen collecté par le gouvernement japonais, 0.4 yen sont désormais dévolus au seul remboursement de sa dette !