L’effet domino de la crise asiatique de 1997

Quand tout va (trop bien) rien ne va (plus)! C’est un peu ce qu’il s’est passé le 2 Juillet 1997 quand le baht thaïlandais s’effondrait subitement, entrainant dans son sillage la majorité des devises des dragons et tigres d’Asie. Nous allons voir comment les économies d’une multitude de pays asiatiques, tous plus dynamiques les uns que les autres, allaient s’effondrer via un effet domino, et créer une crise asiatique aux répercussions mondiales, sans équivalente depuis celle de la Grande Dépression issue du krach boursier de 1929.

Les émeutes de Jakarta (Mai 1998) suite à la crise asiatique de 1997

Emeutes de Jakarta lors de la crise asiatique

L’expansion économique des Dragons et Tigres d’Asie jusqu’en 1997

Si à la fin de la seconde guerre mondiale, c’est le Japon qui tire la croissance asiatique (grâce au plan d’aide de Mac Arthur), il est rejoint par les ‘Dragons’ asiatiques dans les années 1960, puis par les ‘Tigres’ à partir des années 1970. La Chine prendra le relais lors de la décennie suivante, puis le Vietnam et l’Inde dans les années 1990.

Tous ces pays asiatiques se développent sur un modèle relativement similaire : industrialisation de masse de produits d’entrée de gamme, protectionnisme, conquêtes des marchés à l’export grâce à un coût de main d’œuvre imbattable, puis montée en gamme pour améliorer les marges.

Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’à ce que la croissance asiatique attire les investisseurs du monde entier, impatients de bénéficier du boom asiatique.

Sous la pression du FMI, ces pays émergeants acceptent alors de déréglementer leurs marchés financiers, attirants toutes sortes de capitaux. Pour soutenir leurs développements, ces pays empruntent à tout va, faisant grimper leurs dettes moyennes de 100% en 1993 à plus de 180% au maximum de la crise. De son côté le secteur privé fait également appel au crédit, la plupart du temps libellé en dollars US et sans être trop regardant sur les couvertures de risque.

Le 2 Juillet 1997, la dévaluation du baht thaïlandais donne le départ de la crise asiatique

Le gonflement de cette dette en dollars inquiète les entreprises privées, qui, par crainte d’une dévaluation à venir, remboursent leurs emprunts ou les convertissent en monnaie locale.

On rentre alors dans une spirale de déflation par la dette (debt-deflation en anglais) qui a pour effet de s’auto-entretenir : le remboursement des dettes extérieures libellées en dollars entrainent le renchérissement du billet vert, augmentant ainsi l’ardoise des créances restantes.

L’octroi de crédit diminue, asphyxiant inexorablement le développement de l’économie.

Suite à une attaque spéculative, le Baht thaïlandais est la première devise asiatique à être dévaluée le 2 Juillet 1997, mettant fin à un taux de change fixe avec le dollar, taux qui était devenu insoutenable.

Par effet domino, le baht entraine dans sa chute les monnaies d’Indonésie, de Malaisie et des Philippines. Quelques temps plus tard, c’est au tour des monnaies de Taiwan, de Corée du Sud (*), de Singapour et de Hong Kong de dévisser par rapport au billet vert.

A la fin de l’année 1997, les devises de la région Asie subiront une dépréciation par rapport au dollar comprise entre 35 et 80%, sonnant le reflux des capitaux étrangers qui s’étaient massivement investi depuis le début des années 1990.

Note (*) : Pour essayer d’enrayer la chute de leurs monnaies certains pays font appel à des donateurs privés (particuliers et entreprises). C’est ainsi que la Corée du Sud récupèrera près de 200 tonnes d’or sous forme de dons de particuliers. Mais ces actions n’ont pas permis d’éviter les dévaluation massives des monnaies locales.

Certains pays ont mieux résisté à la crise que d’autres : c’est le cas de Taiwan (faible dette, répartition privé/public équilibrée) ou encore de Hong Kong qui a réussi à garder parité égale avec le dollar US (en n’émettant de la monnaie locale qu’en proportion de ses réserves en devises ou en or).

La Thaïlande (pays ou la crise a débuté) a été particulièrement touchée, principalement à cause d’un modèle économique basé sur le concept du pays atelier (textile, électronique,..), sans valeur ajoutée et en concurrence frontale avec un concept identique venu de Chine.

Mais c’est l’Indonésie qui aura porté le plus lourd fardeau de la crise asiatique. En l’absence de règlementations financières, corruption et clientélisme prospèrent alors au plus haut niveau de l’Etat. Avec un PIB ayant perdu 14% en un an, une inflation de 60% et des plans Soeharto inefficaces, l’Indonésie aura du mal à se relever de cet épisode noir de son histoire. Les émeutes de Jakarta de mai 1998 sont encore dans les mémoires collectives (plusieurs centaines de personnes sont brulées vives lors du pillage, suivi de l’incendie d’un centre commercial)

La crise asiatique se mondialise en 1998 et entraine la faillite de l’Etat Russe

Au printemps 1998, la crise financière (qui aura détruit tout de même un total de 600 milliards de dollars de capitalisation) bascule dans le domaine économique, entrainant une baisse considérable du pouvoir d’achat des populations concernées.

Mais la contagion ne se limite pas aux Tigres et Dragons d’Asie, elle essaime dans le monde entier. En effet, forte consommatrice de biens d’équipements et de matières premières (en particulier pétrolières), l’Asie alimentait jusqu’alors la croissance mondiale.

Cette demande s’essoufflant, l’impact se fait sentir sur de nombreux pays émergeants (Amérique latine en particulier) mais également sur la Russie qui est mise en cessation de paiement dès 1998.

De leurs côtés, les pays industrialisés (parmi lesquels la France) ne souffriront pas trop de la crise asiatique car ils bénéficiaient à cette époque d’une croissance intérieure soutenue (3,2% en 1998 pour la France).

La sortie de crise et le rôle controversé du FMI

L’intervention tardive du FMI a été critiqué par de nombreux observateurs et par la Banque mondiale elle-même. En Corée du Sud, en Indonésie et en Thaïlande, le Fond Monétaire International a imposé une politique budgétaire très restrictive pour essayer d’enrayer l’effondrement des taux de change. Le secteur bancaire a été rationalisé à outrance, avec fusions et fermeture de nombreux établissements

En Corée du Sud par exemple, le FMI a demandé une réduction de 50% des effectifs des banques, ainsi qu’un coupe drastique des postes de fonctionnaires. Cette politique d’austérité n’a pas été la bonne et aurait même contribué, selon certains analystes, à aggraver la crise.

A noter que la Malaisie a refusé l’aide du FMI, préférant adopter des mesures protectionnistes.

Malgré ces fardeaux supplémentaires, les économies asiatiques se sont rapidement relevées de ce marasme avec quelques disparités entre pays tout de même ( l’Indonésie ayant particulièrement souffert), d’une part parce que les fondamentaux de leurs économies étaient sains (tout au moins au départ) et d’autre part, parce que les populations ont fait front avec leurs gouvernements pour sortir de l’impasse.

Rétrospectivement, comment expliquer cette crise asiatique de 1997 ?

Cette crise est liée à l’excès d’optimisme de tous les acteurs concernés : en premier lieu aux entreprises asiatiques qui ne voyaient pas de limite à leur boulimie de croissance (le ‘boom asiatique’, mais aussi et surtout à la myriade de spéculateurs (pour la plupart occidentaux) qui offraient leurs lignes de crédit sans s’entourer de contreparties tangibles.

Ces crédits faciles ont également contribué à faire gonfler une spéculation immobilière qui n’est pas sans rappeler la crise des subprimes qui se déclenchera une décade plus tard aux USA et qui aura, elle aussi, un retentissement mondial, mais des conséquences beaucoup plus lourdes.

Il est paradoxal de constater que l’Asie, une région dynamique, enviée par le reste du monde et bénéficiant de fondamentaux économiques sains (taux d’intérêt modérés, budgets en équilibre, dettes raisonnables) allait basculer en 1997 dans une crise majeure… par excès d’optimisme de tous les acteurs concernés ! Cet excès d’enthousiasme créant une bulle spéculative dont l’éclatement fortuit (ici la dévaluation du baht thaïlandais) allait engendrer un effet domino dévastateur et contagieux sur les autres économies du secteur.

Pour reprendre notre phrase du début de notre article :

« Quand tout va (trop bien) rien ne va (plus)! »

A méditer, en particulier pour nos lecteurs qui ont des actifs dans des pays à l’économie florissante !! Si, si cela existe !