Les leçons de la crise argentine des années 1998-2002
Rappelez-vous Décembre 2001 en Argentine : les épargnants se ruent sur les banques (ou les retraits sont limités à 250 pesos par semaine), le peuple manifeste violemment dans la rue pour protester contre l’austérité (il y aura une trentaine de morts), le président en exercice: Fernando de la Rúa doit s’enfuir en hélicoptère, remplacé par Adolfo Rodríguez Saá, un populiste péroniste qui déclare le pays en faillite avec une ardoise de 100 milliards de dollars. Essayons de comprendre comment l’état le plus prospère d’Amérique latine en est arrivé à ce défaut de paiement notoire, dont les retombées économiques et sociales sont encore présentes en 2015 ? Et quels enseignements pouvons-nous tirer d’une telle crise ?
Les erreurs ayant conduit à l’impasse : le rôle du currency board
La genèse de la crise argentine remonte au tout début de l’année 1992, lorsque le nouveau ministre de l’Economie de l’époque Domingo Cavallo met en place un remède miracle pour lutter contre l’hyperinflation endémique (5000% en 1989, excusez du peu !) qui gangrène le pays depuis la fin de la 2ème guerre mondiale. Ce remède miracle a pour nom ‘currency board’ (caisse d’émission en français) et a pour but, en liant le peso argentin au dollar, de dissuader l’Etat à utiliser la planche à billets.
En effet, avec ce système, toute création de monnaie locale est liée à l’entrée de dollars, limitant ainsi le risque d’hyperinflation. Les résultats sont au rendez-vous, puisque le taux d’inflation passe sous la barre des 10% dès la 1er année d’introduction de cette mesure. C’est le début d’une époque dorée, qualifiée de ‘miracle argentin’, avec l’implantation dans le pays de nombreuses sociétés étrangères (Carrefour, Suez, EDF, Ford,…).
Mais, comme dans tout mariage, les couples sont engagés pour le meilleur et pour le pire ! Pour le couple Peso/Dollar les tensions apparaissent lorsque la crise économique asiatique propulse le dollar à des parités très élevées, dans un marché des changes libéré et très volatile. Le peso étant lié au dollar, l’Argentine ne peut plus écouler ses marchandises, devenues subitement trop chères, principalement chez ses principaux partenaires commerciaux d’Amérique latine (en particulier avec le Brésil dont la monnaie n’est pas liée au dollar).
La montée de la crise argentine en 1998-2001 : le rôle du FMI
En 1998, à cours de débouchés, l’Argentine plonge alors dans une violente récession et doit faire appel au FMI pour demander de l’aide. Sur l’intervalle 1998-2001, pas moins de 7 plans d’austérité seront mis en place par le fond monétaire international, mais sans succès. Bien au contraire, de nombreux économistes pensent que ces remèdes successifs n’ont fait qu’aggraver la crise, conduisant à l’inévitable dépôt de bilan de Décembre 2001.
Devant la pénurie de pesos/dollars, des monnaies de substitution voient le jour, parmi lesquelles le Patacon est surtout en usage dans la région de Buenos Aires. Ces monnaies parallèles finissent par être adoptées par l’Etat central qui rémunère en partie ses agents avec ces artifices. A cela s’ajoute la généralisation du troc ou des cercles d’échanges, mettant en pratique les préceptes de l’économie libre.
Les conséquences sociales de la crise sont dramatiques : mouvements sociaux à répétition, augmentation de la pauvreté, changements fréquents de régimes politiques avec montée des populismes.
La faillite de l’état argentin en Décembre 2001 : le rôle du corralito
Le 1er Décembre 2001, le ministre de l’économie Domingo Cavallo (celui-là même qui avait créé le currency board en 1992) annonce la mise en place du corralito, un mécanisme pour lutter contre la crise des liquidités et la fuite des capitaux.
Désormais, les argentins ne pourront pas retirer plus de 250 pesos par semaine (soit 250 dollars, puisque les 2 devises sont encore liées à cette époque) et ne pourront plus faire de virement à l’extérieur du pays.
Et pour couronner le tout, le FMI annonce le 5 décembre qu’il ne versera pas les 1.26 milliard de dollars, comme prévu dans le nième plan d’aide.
Ces 2 mauvaises nouvelles font souffler un vent de panique chez tous les épargnants qui se ruent vers leurs banques pour convertir les pesos en dollars et retirer ces derniers.
C’est alors que le système bancaire argentin s’écroule car il n’existe pas de banque de dernier recours avec le mécanisme de parité peso-dollar institué par le currency boad.
Le 19 Décembre 2001, pour éviter les pillages (la mairie de Cordoba ayant été saccagée), le président Fernando de la Rua décrète l’état de siège, le lendemain le ministre de l’économie Domingo Cavallo est contraint de démissionner devant l’explosion sociale qui s’amplifie.
S’en suivent 3 gigantesques manifestations (qui firent 28 morts) et qui poussèrent le président vers la sortie. Le péroniste Adolfo Rodríguez Saá prend alors la relève du pouvoir, lui-même remplacé, quelques jours plus tard et dans une confusion totale, par un autre péroniste: Eduardo Duhalde.
La faillite de l’état argentin est confirmée, les banques sont fermées pendant plusieurs jours et le 11 Février 2002, le peso est dévalué de 28% (1 dollar=1,4 peso). En une fraction de seconde, tous les argentins perdent plus d’un quart (*) de leurs économies.
Note (*) : Cette spoliation spectaculaire (car instantanée) n’était malheureusement qu’un début et n’a fait que s’empirer au cours du temps avec la dépréciation continue du peso. A fin 2015, il fallait 9,6 pesos pour un dollar US au cours officiel (mais 15 pesos au marché noir !).
Pour les entreprises étrangères (françaises et espagnoles entre autres) l’ardoise est encore plus sévère puisque tous les contrats en dollars sont devenus caducs du jour au lendemain. Ce qui ouvrit la voie à d’innombrables contentieux internationaux dont certains sont encore d’actualité, plus de 15 ans après la crise.
La sortie de la crise argentine et la reprise de la croissance: 2003-2008
Après une année 2002 catastrophique (23% de chômage et 57% de pauvreté), les effets de la dévaluation du peso commencent à porter leurs fruits à partir de 2003. Boosté par une forte demande intérieure et par l’envolée des cours des matières premières, l’ère de Nestor Kirchner débute plutôt bien avec une croissance du PIB qui affiche une moyenne de 8,5% sur la période 2003-2008. Si le pays est sorti de l’ornière de 2001, le poids de sa dette continue néanmoins de peser lourdement sur ses finances publiques.
Un première restructuration de celle-ci est effective en 2005 (les ¾ des investisseurs acceptent 70% de décote) et sera suivie d’une 2ème haircut en 2010 : il ne reste alors que 7% des investisseurs qui insistent pour un remboursement intégral de leurs prêts. Ce dernier carré de créanciers intransigeants fera la une des médias sous le nom de fonds vautours, des fonds spéculatifs auxquels la cour d’appel de New York (en Août 2013), puis la Cour suprême des États-Unis donnera finalement raison lors d’une procédure de dernier recours qui a rendu son verdict en Juin 2014.
Mais sous la gouvernance de Cristina Kirchner (qui a pris la relève de son mari à son décès), l’effondrement du cours des matières premières fait repartir le pays dans une nouvelle spirale inflationniste préoccupante, les 3 gouvernements populistes de la famille Kirschner n’ayant pas réussi à mener les réformes structurelles nécessaires durant les périodes fastes.
Le contrôle des changes et les mesures protectionnistes prisent en 2011 plombent les comptes de l’état, mettant celui-ci au bord d’une nouvelle faillite.
Fin 2015, les indicateurs économiques sont toujours dans le rouge (inflation à 20%, déficit public supérieur à 4% du PIB, dette souveraine avoisinant les 50% du PIB). Mais l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle équipe de centre-droit dirigée par Mauricio Macri redonne un peu d’espoir à une Argentine longuement meurtrie par la crise.
Quels enseignements peut-on retirer de la crise argentine ?
Quel retour d’expérience peut-on tirer sur cette crise argentine de 1998-2002? Tout simplement: ne pas s’arrimer à une devise que l’on se sera pas capable de suivre sur la durée ! A liant le peso argentin au dollar en 1992, le ministre de l’ économie de l’époque a précipité son pays dans un attelage infernal qui a fini par se rompre violemment avec la crise de Décembre 2001.
A ce propos, on peut faire le rapprochement avec la Grèce qui n’aurait jamais dû rentrer dans l’Euro et qui subit les mêmes affres que l’Argentine des années 2000. Ne pouvant pas dévaluer leurs monnaies, les autorités helvètes font donc de la cavalerie, courant en permanence après leurs créanciers. Le Grexit a été évité en 2015, mais qu’en sera-t-il en 2016 ?
Faire devise commune (comme pour la Grèce avec l’Euro) ou ancrer sa monnaie à la devise d’un autre pays (comme l’Argentine avec le Dollar US) a été une décision extrêmement grave et très lourde de conséquences sur le long terme. Les argentins en ont fait la dure expérience dans les années 1990-2000 et ont eu du mal à tourner la page, peu aidés il est vrai par les politiques populistes qui ont suivi. Quant à eux, les grecs continuent à s’accrocher, mais jusqu’à quand ?