L’assouplissement quantitatif ou ‘Quantitative Easing’ (QE) fait-il peser un risque sur l’économie mondiale?
26 Octobre 2015
Si vous vous intéressez un tant soit peu à l’économie, vous avez certainement entendu parler de ‘Quantitative easing’, souvent abrégé en QE dans les diverses publications spécialisées. Ce mot barbare anglo-saxon, que l’on traduit par ‘Assouplissement Quantitatif ‘ en français n’est, ni plus ni moins qu’une politique monétaire dite de la dernière chance. C’est-à-dire celle que nos brillants économistes appliquent … lorsque toutes les autres ont échoué!
Pas très réjouissant me direz-vous, surtout quand vous apprendrez (si vous ne le saviez pas déjà !) que ce remède de cheval a (provisoirement ?) sauvé le Japon dans les années 2000 et est en place aux USA depuis fort longtemps, en fait depuis la lointaine crise de 2008 sur les subprimes. De ce côté de l’atlantique, Mario Draghi (le patron de la BCE) a lancé un QE européen en Janvier 2015. Voyons en quoi consiste ces potions magiques dites du dernier recours et quel est le risque qu’elles font peser sur l’économie mondiale?
L’assouplissement quantitatif à la japonaise débute en 2001 avec la BOJ
Le concept d’assouplissement quantitatif est assez récent, puisqu’il a été évoqué pour la 1er fois en 1994, en pleine crise japonaise, par Richard Werner, professeur d’économie internationale, alors qu’il travaillait à Tokyo et devait convaincre des investisseurs nippons que la reprise allait enfin être une réalité au pays du soleil levant !
Et cela grâce à une politique économique ‘non conventionnelle’, que piloterait la Banque du Japon et qui aurait pour mission de favoriser la création de crédit.
Finalement, ce n’est qu’en 2001 que le Japon se lancera dans cette politique d’assouplissement du crédit, après avoir pris soin de diminuer au maximum (soit 0% : on peut difficilement faire mieux !) le taux de référence de sa banque centrale.
Cette première politique de QE appliquée sur un grand pays (et une grande puissance économique) a porté ses fruits (même si certains experts en doutent encore) , puisque le gouvernement japonais abandonnait le concept en mars 2006, le pays étant enfin sorti d’une très longue période de déflation.
Mais comment cette création de crédit avait-elle permis de relancer la machine économique nipponne?
Rappel : une politique monétaire « conventionnelle » consiste, pour une banque centrale, à baisser son taux directeur (le taux qu’elle prête aux autres établissements financiers) de façon à permettre à ceux-ci de proposer des offres de crédit attractives à leurs clients (entreprises et particuliers). C’est cette politique conventionnelle qui a d’abord était appliqué au Japon, les taux directeurs étant progressivement réduits jusqu’à tendre vers zéro.
Mais que faire lorsque la machine économique n’est pas repartie et que ces taux directeurs sont désormais à 0 ? C’est là qu’intervient la politique dite « non conventionnelle » de l’assouplissement quantitatif.
A partir de 2001, la Banque du Japon s’est mise à produire de la monnaie, pas seulement pour prêter de l’argent aux banques de l’archipel nippon (ce qui est son rôle principal), mais pour acheter des actifs sur les marchés : pour l’essentiel des obligations d’Etat. Ces obligations devenant plus rares (puisqu’achetées par la banque centrale), leur prix augmente et leur rendement diminue.
Les banques délaissent alors les obligations et sont plus disposées à proposer des crédits à de jeunes entreprises ou à des particuliers plus modestes (primo-accédant par exemple), la prise de risques se traduisant par des rendements plus élevés pour la banque.
Résultat de tout ce mécanisme: cette première expérience d’un QE (portant sur le 2ème économie mondiale de l’époque) a eu pour effet de faciliter l’accès au crédit des acteurs nippons (particuliers et entreprises), relançant ainsi (malheureusement de façon trop éphémère) l’économie de l’archipel.
En 2008, la FED lance à son tour un assouplissement quantitatif à l’américaine
En 2008, lorsqu’arrive la crise des subprimes aux USA et à défaut de solutions miracles, la banque centrale américaine (Fed) se lance à son tour dans un processus similaire à celui qui avait été mis en place et avait apparemment réussi au Japon.
Mais cette fois, après avoir elle aussi ramené ses taux directeurs à quasiment zéro, et au vu de l’ampleur de la crise, la FED ne se contente pas d’acheter des bons du trésor, elle rachète en masse les prêts hypothécaires (les fameux subprimes) octroyés de façon trop laxiste par les banques américaines.
En Juin 2010, à la fin de son premier QE1, la Fed aura ainsi rapatriée dans ses caisses pas moins de 2.1 trillions de dollars de ces actifs toxiques. Ce grand ménage a permis de faire repartir l’économie US, mais le malade n’était que convalescent, car 5 mois plus tard, en Novembre 2010, la Fed devait remettre le couvert et lancer un QE2, qui sera suivi en Septembre 2013 par un QE3.
En Octobre 2014, à la fin de ce processus d’achat gargantuesque, les 3 remèdes de cheval (QE1, QE2, QE3) ont eu pour effet d’accumuler 4,5 trillions de dollars dans les coffres de la Fed.
Cette injection massive de papier-monnaie, sans précédent dans l’histoire et sans contrepartie tangible a permis jusqu’à présent d’éviter l’effondrement du château de cartes. Même si la banque centrale de l’Oncle Sam a fini par suspendre l’achat d’actif, elle n’a toujours pas réussi à augmenter à nouveau ses taux directeurs, preuve que l’économie US est toujours convalescente.
L’assouplissement quantitatif à l’européenne débute en 2015 avec la BCE
Après bien des hésitations, avec entre autre une réticence appuyée (mais finalement veine) de l’Allemagne, la BCE a décidé de se lancer, elle aussi, dans l’assouplissement quantitatif en Janvier 2015.
Il faut dire que la vénérable institution européenne avait abaissé ses taux directeurs à 0,05%, des taux à leur plus bas niveau historique depuis Septembre 2014…et que malgré cela, la déflation avait fait son apparition pour la première fois en zone euro (-0.2% en Décembre 2014).
C’est donc le 22 Janvier que « Super Mario » sortait son bazooka (selon une expression utilisée par les experts !) pour essayer d’enrayer cette déflation.
Pour rappel : un des rôles principaux d’une banque centrale est de maintenir le taux d’inflation à un niveau « acceptable » de 2% dans sa zone d’influence.
Ce premier QE de la zone euro prévoit de faire acquérir à la BCE pas moins de 1.140 milliards d’euros d’obligations et de crédits titrisés : un plan de rachat à hauteur de 60 milliards par mois a débuté en Mars et devrait se terminer en Septembre 2016.
Ainsi donc, après la Banque du Japon (2001), la FED (2008) et la Banque d’Angleterre (qui a lancé son QE en Mars 2009), la BCE s’est donc jetée à son tour dans le grand bain des politiques ‘accommodantes’ (qualifiées de ‘laxistes’ par les économistes les plus critiques envers cette pratique !).
Il est vrai que recherches fondamentales et littératures académiques n’ont toujours pas réussies à prouver l’efficacité du Quantitative Easing. Qu’importe ! Comme des moutons de panurge et faute d’alternative, la moitié des banques centrales de la planète ont recours, à ce jour, à ce dopage artificiel qui ne pourra malheureusement pas durer éternellement.
En effet, ‘Favoriser l’accès au crédit’ a pour effet mécanique d’augmenter la dette mondiale qui ne cesse de croitre de façon inéluctable. Si comme nous, vous avez un reste de bon sens paysan, vous savez pourtant que les arbres ne montent pas jusqu’au ciel ! Les dirigeants des banques centrales, eux, semblent l’ignorer !
Quelle peut être la conséquence d’une telle fuite en avant ? Rien de bien bon, c’est certain !
Les retours d’expérience des QE japonais et américain montrent que la pression déflationniste est toujours présente dans ces 2 pays, que les taux de croissance sont atones et que la profitabilité opérationnelle des entreprises ne progresse quasiment pas.
Bref, même s’il continue d’être perçu comme un remède de cheval, l’assouplissement quantitatif ne serait finalement qu’une pommade appliquée sur une jambe de bois.
La seule solution collective pour sortir de l’ornière serait de lancer des réformes structurelles, d’inverser enfin la courbe d’endettement et de redonner aux épargnants une juste rémunération sur leurs placements (courts et surtout long terme).
Mais pour éviter ce danger, il faudrait du courage politique et par les temps qui courent, c’est une denrée ….qui se fait très, très rare !!!